Tunisia 2016

Résumé analytique

Les années 2011 à 2013 couvertes par le PEFA sont, à tous points de vue, une période charnière, donc atypique mais aussi riche de promesses pour la Tunisie. Au plan politique elle a été marquée par le déclenchement, fin 2010, du premier des « printemps arabes », qui est le seul ayant débouché sur une démocratie. La longue et délicate période de transition qui a suivi a finalement été menée à bien avec l’adoption d’une nouvelle constitution en janvier 2014 suivie d’élections législatives et présidentielle. Ces années ont également eu pour toile de fond une conjoncture internationale initialement déprimée ayant un impact négatif sur celle de la Tunisie. Lorsqu’elle a pu espérer une reprise liée à celle intervenue en Europe ou par la baisse des prix du pétrole, le rebond a été contrarié par des tensions sociales croissantes et la montée du risque terroriste. Elle a néanmoins réussi avec éviter une dégradation trop profonde et catastrophique des soldes budgétaires.

Cette période est également un « entre deux » s’agissant des outils de gestion des finances publiques et de leur appréciation. Au plan interne leur modernisation a continué à bas bruit avec notamment l’étape importante, bien que peu médiatisée, du jumelage des MF avec l’appui de l’Union Européenne. La démarche GBO de mise en place d’un budget de performance s’est progressivement opérationnalisée au point de couvrir, en 2015, 80% des crédits. Une structuration renforcée des chantiers a conduit à des expériences réussies et prometteuses notamment pour la comptabilité ou l’allégement/ restructuration des contrôles de la dépense. Néanmoins l’impact de ces évolutions n’est peu, voire pas, perceptible dans la notation du PEFA principalement pour deux raisons. De façon évidente tant que la nouvelle loi organique sur le budget, approuvée par le conseil des ministres en novembre 2015, n’a pas été adoptée par le Parlement la Tunisie ne peut espérer engranger les « bénéfices » de ces avancées en termes de notes. Plus fondamentalement la mise en oeuvre complète de cette réforme qui couvre tous les champs de la gestion des finances publiques est un chantier de longue haleine, dont certains volets ne seront opérationnels qu’à moyen terme. Dans le même temps le cadre de mesure de référence de la GFP qu’est le PEFA a été très sensiblement modifié ; la rénovation passe par des critères beaucoup plus exigeants et par l’introduction de nouvelles exigences par exemple sur les actifs et passifs ou sur le suivi des risques budgétaires.

Ces éléments font que certains résultats, appréciés par les notes du PEFA, peuvent optiquement paraitre décevants. C’est une des raisons pour lesquelles beaucoup d’indicateurs sont accompagnés d’éclairages allant au-delà du seul cadre. Les principaux constats du PEFA 2015 peuvent en définitive être résumés de la façon suivante.

Crédibilité de la stratégie des finances publiques et du budget.

Malgré l’instabilité due aux particularités de la période 2011-2013, le budget a été un outil crédible de programmation et d’exécution. Les dépense réalisées sont, globalement, restées proches de celles prévues, donc maitrisées, avec un dépassement moyen de la prévision de solde de 0,4 point de PIB par an1 sur la période. Leur composition administrative a fortement varié de la LFI à l’exécution, principalement pour des raisons liées aux fortes contraintes économiques sociales mais la Tunisie a réussi à préserver leur composition économique et à éviter un recours excessif aux dépenses pour imprévus. De même le socle des recettes, notamment les prélèvements fiscaux, a été préservé avec des recouvrements très proche de ceux prévus. Cette performance remarquable au vu de l’instabilité de la période est due à la direction générale des impôts et met d’autant plus en évidence les faiblesses de la Douane. Ces éléments de maitrise globale ont indéniablement conservés sa signification au vote du Parlement pendant la révolution et la Transition.

Exhaustivité et transparence.

Par contre, à l’inverse des conclusions du PEFA précédent, le budget manque d’exhaustivité, ce qui, sur un point au moins, se traduit par un manque de transparence. Des financements publics importants sont reflétés en prévision mais rapportés de façon trop agrégée qu’il s’agisse des EPA ou des projets sur financement extérieurs. Certains EPNA réalisent des opérations en fait administratives mais qui ne sont pas rapportées. Enfin il n’y a aucune information sur les fonds spéciaux extrabudgétaires de l’article 22 de la LOB. Plus généralement les fonds spéciaux du Trésor, budgétaires, sont trop nombreux d’autant que les règles de report de leurs soldes empêchent de redéployer les ressources. La nomenclature en dépense ne distingue pas, à un niveau fin, dimensions économique et fonctionnelle ce qui complique leur lisibilité et l’appréciation de leur efficacité. Les masses des collectivités locales sont faibles, 5% de celle de l’Etat, et dépendantes de ses financements qui ne leur sont pas alloués selon un calendrier propice à une bonne programmation de leurs dépenses. Enfin, même si la note en rend mal compte, des efforts très importants ont été faits depuis 2011 pour rendre les documents budgétaires accessibles aux citoyens.

Gestion des actifs et des passifs

Ce volet est incontestablement le point faible majeur de la GFP en Tunisie. Le risque budgétaire des collectivités locales est bien maitrisé mais la fragmentation et les carences de la surveillance des EPNA et entreprises publiques font que l’Etat n’en a ni vision globale ni approche exhaustive. Dans un contexte où la situation de certaines est dégradée le risque budgétaire n’est ni suivi ni cerné alors qu’il est sans doute élevé. De même la mauvaise qualité des inventaires et l’absence de valorisation des actifs non financiers amoindrissent très certainement les revenus du patrimoine. L’absence de suivi des passifs conditionnels explicites de l’Etat peut aussi représenter un danger dans un contexte où la récente loi sur les PPP risque de les accroitre. Par contre la dette et les arriérés, éléments également stratégiques, sont bien connus et suivis.

Planification et budgétisation fondées sur les politiques publiques

Pendant la période sous revue, le plan de développement quinquennal a été abandonné et les budgets économiques partiellement mais ils ne constituaient que des outils très imparfaits d’encadrement du cycle budgétaire. Le programme du FMI de juin 2013 et la planification qui l’accompagne donnent des cibles à un niveau agrégé. La planification et la mobilisation des ressources ne donnent donc pas lieu à une vraie stratégie de moyen terme mais plutôt à un pilotage infra annuel évitant une dégradation trop forte des soldes. Le CDMT est inégalement mis à jour, et le budget se fait sur la base de prévisions macroéconomiques annuelles, les deux outils étant déconnectés. Le processus budgétaire, bien rodé et encadré, permet au Parlement s’il le souhaite de vérifier que la LFI prend en compte ses priorités de politiques publiques. Ces constats conduisent à des notes assez moyennes mais ne posant pas de difficultés insurmontables, notamment en cas d’adoption prochaine de la nouvelle LOB.

Prévisibilité et contrôle de l’exécution du budget

Les mécanismes d’exécution du budget sont bien maitrisés et contrôlés, en recettes et en dépenses tout comme la programmation et la circulation des flux de trésorerie. Les contrôles internes des dépenses salariales et non-salariales sont efficaces et s’appuient sur des fonctions correctement séparées. Les progrès très importants réalisés sur la transparence et la publicité des marchés publics ne se traduisent que partiellement dans la notation, faute d’outil d’information intégré permettant d’en rendre correctement compte. L’audit interne est efficace mais procédural et transactionnel, donc consommateur de moyens faute d’approche par les risques. Il gagnerait à être modernisé et structuré République de Tunisie | PEFA Rapport final 3

en fonction de l’importance des enjeux. Enfin la qualité du système tunisien de recouvrement de l’impôt est bonne, mais ne se reflète que très imparfaitement dans les notes tirées vers le bas par la contreperformance de la direction générale des douanes.

Comptabilité, enregistrement des données et établissement de rapports

L’établissement des rapports financiers est une autre faiblesse du système de GFP principalement du fait d’une période complémentaire longue et pas toujours respectée, de délais excessifs donnés par les textes et des difficultés d’enregistrement des dépenses des projets sur financement extérieurs. Ces limites pourraient sans doute être partiellement corrigées dans le système actuel. Ce pis-aller ne réglerait cependant pas la question de fond. L’absence de prise en compte des actifs et passifs s’y conjugue pour aboutir à des notes dégradées de plusieurs indicateurs. De même, la loi de règlement pourrait, dans son format actuel, être enrichie par des analyses, mais sans pour autant remplir de manière satisfaisante les critères du cadre PEFA.

Surveillance et audit externe

Le changement de régime politique a fortement accru le rôle du Parlement et la publicité donnée au contrôle externe des fonds publics par la Cour des comptes. Outre une amélioration de la ponctualité des rapports et leur prise en compte plus nette par l’exécutif les principaux axes de progrès restants au regard des critères du PEFA – et qui expliquent là encore des notes dégradées – sont la publicité des travaux des corps de contrôle et, plus largement, la transmission au Parlement des rapports des corps et instances de contrôle pour qu’il s’en saisisse.

Les deux points faibles majeurs ressortant de l’analyse croisée de la partie IV sont par ordre d’importance : d’une part, l’absence de suivi des risques budgétaires liés aux entreprises publiques et des passifs conditionnels explicite de l’Etat ; et, d’autre part, les carences de la Douane qui minorent très probablement les ressources et empêchent un suivi de qualité de l’ensemble des recettes.

Les points forts restent les mêmes que lors du PEFA précédent : crédibilité du budget comme instrument de programmation et d’exécution, relative transparence des systèmes d’information budgétaire et comptable et quasi-exhaustivité de leur couverture, prévisibilité et contrôle de l’exécution du budget .

Enfin les points d’attention indispensables à une gestion modernisée des finances publiques sont classiques : introduction d’une perspective à moyen terme pour assurer une allocation stratégique et optimale des ressources, passage à une gestion budgétaire par objectifs pour mieux évaluer les politiques et l’efficacité de la dépense, mise en place d’une comptabilité modernisée pour passer en droits constatés, et implication plus large du Parlement dans l’appréciation des résultats et moyens des politiques publiques.

Enfin les principales réformes à venir sont, comme les nombreuses expérimentations menées, « résumées » dans le projet de nouvelle loi organique du budget de l'Etat qui reste à examiner par le Parlement.